Portés par le Vent, et Gravés dans les Etoiles

Il y a bien longtemps, sous le ciel clair de Tahiti, dans un paisible village de Huahine, vivaient un couple, Taua Tiaroroa et sa femme Rehua, avec leurs deux enfants, Pipiri et sa sœur, elle aussi nommée Rehua.

Par une nuit splendide, alors que les étoiles scintillaient haut dans le ciel, les parents quittèrent silencieusement leur maison. Sur les nattes fraîches et douces de leur fare (maison), les petits dormaient paisiblement.

Avec précaution, les parents découvrirent leur pirogue et la poussèrent sur l’eau. Tenant une rama, une torche enflammée, ils pagayèrent dans la baie sombre pour aller pêcher à la torche, une tradition ancestrale.

La flamme brillait sur l’eau comme une étoile, attirant les poissons vers leurs filets. L’océan fut généreux, et bientôt leur pirogue déborda de poissons frais. Souriants de joie, le couple regagna la rive.

Taua se hâta de préparer le feu pour cuire leur prise. Bientôt, l’air fut rempli de l’odeur du poisson grillant sur les pierres chaudes, mêlé à l’arôme sucré du taioro (pulpe de coco fermentée), du poe fe’i (une douceur sucrée) et du lait de coco fraîchement pressé.
Quand tout fut prêt, Rehua dressa le repas avec soin et amour.
Elle se tourna vers son mari, joyeusement :
« Tout est prêt. Va réveiller nos petits. »
Mais Taua hésita.
« Non, dit-il doucement, laissons-les dormir. Ils dorment si profondément. »

Mais Pipiri et sa sœur étaient réveillés… L’odeur délicieuse du repas les avait tirés de leur sommeil.
Quand ils entendirent ces mots, cachés dans l’obscurité de leur chambre, leurs cœurs se brisèrent. Jamais auparavant ils n’avaient été oubliés, jamais ils n’avaient été exclus d’un moment de partage en famille. Blessés et désemparés, ils sortirent en silence, rampant à travers les branches sèches de purau qui entouraient leur abri.
Dehors, ils se cachèrent sous l’auvent, le cœur lourd.

Quand les parents vinrent enfin les réveiller, ils ne trouvèrent que des nattes tièdes et vides.
« Ils sont partis ! » s’écria Rehua, la panique dans la voix.
Ils se mirent à chercher, appelant — « E Pipiri-ma ! Pipiri-ma ! ».
Les enfants, entendant leurs noms, s’enfuirent. Ils grimpèrent jusqu’au sommet d’une montagne voisine.

Alors que les parents approchaient, une chose étrange flottait dans l’air… un cerf-volant, envoyé par un esprit farceur.

Pipiri et sa sœur s’accrochèrent à sa queue. Le cerf-volant les emporta dans le ciel.
En bas, leurs parents crièrent :
« E Pipiri-ma ! Pipiri-ma ! Revenez vers nous ! »
Mais d’en haut, les enfants répondirent :
« Non, nous ne reviendrons pas. Vous n’avez pas partagé la pêche à la torche avec nous ! Vous avez mangé sans nous. »

Encore et encore, les parents supplièrent :
« Revenez vers nous ! »
Mais toujours la même réponse :
« Non, nous ne reviendrons pas. Vous nous avez oubliés. »

Enfin, Taua parla, la voix chargée de tristesse :
« Cela suffit, Rehua. Nous ne pouvons plus les atteindre. Rentrons. »
Mais Rehua ne voulait pas l’entendre. Sa voix s’éleva encore et encore vers le ciel :
« E Pipiri-ma ! Pipiri-ma ! »
Et au loin, la réponse s’effaça, comme un souffle mourant :
« Non… nous ne reviendrons pas… »

Depuis cette nuit-là, lorsque les constellations australes brillent au-dessus des îles, nous lèvons les yeux au ciel en pensant tendrement à Pipiri et sa soeur, devenus des esprits scintillant dans les cieux. Le cerf-volant qui les a emportés s’est changé en une flamme rouge éclatante, les suivant à jamais.

Dans le ciel nocturne et limpide de Tahiti, la constellation du Scorpion s’étire à travers les étoiles, marquant l’endroit où Pipiri et sa sœur, oubliés lors d’un festin de pêche nocturne, se sont accrochés à la queue d’un cerf-volant errant pour monter au ciel.

Le cœur de la constellation est marqué par l’étoile rouge Antarès, brillant intensément en son centre.
Quand les Pléiades se retirent de la voûte céleste, marquant la fin de Matari’i i Ni’a et le début de Matari’i i Raro, la lumière de Pipiri Ma prend racine, nous rappelant que la flamme de l’espoir brille toujours, palpitant de l’innocence de Pipiri et de sa sœur.

Aujourd’hui, lorsque les Tahitiens désignent le Scorpion, ils se souviennent de Pipiri Ma, et leur histoire continue de vivre dans les étoiles. Car si l’océan portait les rêves de nos ancêtres, le ciel n’en refléterait-il pas la sagesse — et leur foi inébranlable en la lumière ?

 

Source: Tahiti Héritage