En Mémoire de Lucien Roo Kimitete

Il est des êtres rares dont la rencontre bouleverse, dont la présence marque à jamais la mémoire des hommes.
Lucien Roo Kimitete fut de ceux-là.

Aujourd’hui, nous honorons la vie et l’héritage d’un homme d’exception, qui consacra son existence entière à la défense, à la préservation et à l’épanouissement de ses bien-aimées îles Marquises.

Né en 1952 dans la vallée de Hatiheu, à Nuku Hiva, Lucien porta dès l’enfance le chant et l’esprit en héritage. Il composait des himene, rejoignait les chœurs d’église, et devint bientôt le chef du groupe de danse Pakiu. Déjà, sa voix, ses gestes et son souffle portaient une foi vivante, mais aussi l’amour ardent de la culture de son peuple.

Son service militaire l’éloigna jusqu’en France, où il apprit l’art des transmissions radio. Mais l’appel de Te Henua Enana fut plus puissant que tout. De retour sur sa terre natale, il rejoignit l’aviation civile, devenant le premier chef de l’aéroport de Ua Huka, puis, en 1979, celui de Nuku Hiva.

Très vite, la vie publique s’ouvrit devant lui. En 1983, il entra dans l’équipe municipale. Lorsque le maire disparut brutalement en 1992, c’est à Lucien que revint la responsabilité de porter le flambeau et de poursuivre la mission.

Mais sa démarche allait bien au-delà de la politique.

Entre 1987 et 1989, il entreprit de restaurer le site sacré de Temehea, et lors du deuxième Matavaa — le Festival des Arts des Marquises — il fit renaître les légendes, publiant sa propre version du hakamanu, la Danse de l’Oiseau.

Visionnaire, il fut en 1993 le premier à affirmer que les Marquises devaient être reconnues comme patrimoine de l’humanité, dignes de figurer au patrimoine mondial de l’UNESCO. Là où d’autres n’osaient rêver, il voyait déjà les pierres, les vallées et les traditions de sa terre rayonner aux côtés des plus grands trésors du monde.

Réélu maire en 1995, élu à l’Assemblée de la Polynésie française en 1996, il ne cessa d’accroître son influence et de défendre la cause marquisienne.

En juin 2000, il fut nommé académicien de Nuku Hiva. L’année suivante, il entama son second mandat, portant avec force la voix des Marquises à la fois comme maire et comme élu de l’Assemblée.

Mais en mai 2002, alors qu’il menait campagne pour les législatives, le destin frappa. L’avion qui le transportait au-dessus des Tuamotu disparut dans l’océan, avec à son bord le politicien Boris Léontieff et trois autres passagers. Aucun vestige ne fut jamais retrouvé.

Ainsi s’acheva, dans le mystère, la vie terrestre de Lucien Roo Kimitete. Mais son esprit, lui, ne s’est jamais éteint.

Car il fut plus qu’un élu, plus qu’un homme politique : il fut un gardien de la mémoire, un porteur de chants, un visionnaire qui voyait les Marquises non comme un archipel perdu au milieu du Pacifique, mais comme un héritage universel pour l’humanité.

Tel l’oiseau du hakamanu s’élançant vers le ciel, sa vision plane encore au-dessus de Te Henua Enana, la Terre des Hommes. Elle rappelle à son peuple qu’il lui faut se tenir debout, chanter, et rêver au-delà de l’horizon

 

Photo credit: Polynésie 1ère